L'incroyable incapacité de prévision de l'USEIA
Cette semaine, j'ai publié un article sur la publication du rapport mensuel de l'USEIA appelée "Short Term Energy Outlook" (STEO).
Ce rapport est censé donner des prévisions de production, de consommation et sur les stocks mondiaux sur un horizon de deux ans. Actuellement, les prévisions courent jusqu'à fin 2008. En janvier 2008, les prévisions sur la période 2008-2009 vont commencer.
Comme son nom l'indique, ce rapport permet de faire le point sur le marché pétrolier sur le court terme et devrait en toute logique tenter de donner les meilleurs prévisions possibles.
Dans le graphique ci-dessous, nous pouvons apprécier la qualité de leurs prévisions. En fait, elle est très médiocre et va systématiquement dans le même sens. Elles sont systématiquement surévalués dès le trimestre qui suit la date du rapport. Par contre, les estimations sur le passé sont souvent ré-évalués à la hausse par la suite. Tout ceci concourt à une seule chose : les courbes du STEO montrent une croissance de la production. Comme le dit Jean Laherrère dans l'entretien que j'ai eu avec lui, les projections des agences officielles n'ont rien de sérieux. Elles correspondent juste aux souhaits de leur auteurs.
Le graphique qui suit ne peut mieux illustrer ces propos.

Petite explication du graphique : la courbe en noir est la courbe issu du dernier STEO d'octobre tirée du tableau dynamique 3a . Sur ce tableau, vous pouvez choisir la période ainsi que les tranches (mensuelles, trimestrielles ou annuelles). J'ai choisi la période 2004-2008 et des tranches trimestrielles car les publications anciennes des STEO ne sont consultables qu'en pdf et ne donnent que des tableaux trimestrielles sur une période de trois ans qui s'étend de l'année précédent courante juqu'à l'année suivante.
Il est à noter que l'édition pdf du tableau 3a du rapport STEO d'octobre ne donnent pas les mêmes chiffres de production mondiale que l'édition html du tableau dynamique 3a! Même au sein du STEO, on ne trouve pas les mêmes chiffres du même tableau de la même date sur deux formes différentes!
Aussi, j'ai corrigé mon fichier excel avec les données pdf du rapport STEO d'octobre pour ajuster par rapport aux autres plus anciennes.
Eusuite, j'ai rajouté les données publiées de rapport anciens dans le fichier excel. J'ai pris les 4 derniers rapports précédents depuis juin 2007 :juin 2007, juillet 2007, août 2007, septembre 2007 pour voir l'évolution mois par mois. Ensuite, je suis remonté à mars 2007 puis de trois mois en trois mois. Pourquoi, le mois de mars 2007 correspond à la fin du premier trimestre 2007. J'ai donc choisi des fins de trimestre car ils sont à la charnière et sont donc plus intéressants. Je suis remonté de cette manière jusqu'en décembre 2005 puis j'ai rajouté janvier 2005 pour avoir encore une dernière vue plus ancienne.
Cela donne 12 courbes de STEO sur ce graphique.
Le résultat est assez impressionnant. je vous invite à le regarder attentivement et notamment à situer le début de chaque période de prévision pour chaque courbe et à comparer la partie prévision de la courbe avec la courbe en noir.
Exemple : prenons la courbe du STEO de septembre 2006. Repèrez la bien. Septembre 2006 se situe dans le trimestre 2006Q3. Avant 2006Q3, c'est du passé, après c'est l'avenir. Très bien, maintenant regardez la courbe passé du STEO de septembre 2006. Cette courbe est assez proche de la courbe noir d'octobre 2007. Cette partie a donc été très peu modifié depuis septembre 2006. Maintenant regardez la partie prévision : la courbe croit fortement dès le quatrième trimestre 2006, c'est à dire le trimestre suivant la date de publication de ce rapport. Et que fait la courbe en noir? Elle décline dès le quatrième trimestre 2006. Ainsi, l'écart entre les prévisions du STEO de septembre 2006 et celui d'octobre 2007 sur la production mondiale du quatrième trimestre 2006 est exactement de 0,95 mb/j. En effet, le STEO prévoit 85,60 mb/j tandis que celui d'octobre 2007 ne donne plus que 84,65 mb/j !
Et l'écart de prévision grandit quand on s'éloigne dans le futur.
Gardons la courbe de septembre 2006 et prenons les prévisions sur le trimestre 2007Q3, celui qui vient juste de s'écouler.
Le STEO de septembre 2006 prévoit que la production mondiale sera de 87,1 mb/j au cours de ce trimestre alors que celui d'octobre 2007 fait une estimation de 84,53 mb/j. La différence atteint ici 2,57 mb/j. Exprimée en pourcentage, la projection de septembre 2006 est surestimée de 3% par rapport à l'estimation d'octobre 2007.
Ainsi, sur cette courbe, il est clair que la partie projection est largement surévaluée par rapport à ce qu'il va se passer. Est-ce exceptionnel?
Regardons d'autres courbes.
Prenons celle de janvier 2005. Leurs projections sur les deux premiers trimestres de 2005 sont sous-évaluées mais leur estimation du troisième est égale à celle d'octobre 2007 puis ensuite elles sont largement surévaluées puisque pour le dernier trimestre de la période étudiée de ce rapport, le quatrième trimestre 2006, 2006Q4, leur projection sont de 97,30 mb/j alors que le rapport d'octobre 2007 donne 84,65 mb/j. L'écart est donc de 2,65 mb/j entre ces deux rapports sur le trimestre 2006Q4.
Le plus important écart de prévision atteint 2,95 mb/j sur le même trimestre.
C'est sur le rapport de juin 2006 en bleu clair que l'on trouve cet écart avec celui d'octobre 2007 et c'est sur le premier trimestre 2007. Ainsi, le STEO de juin 2006 prévoit une production de 87,2 mb/j alors que celui d'octobre 2007 ne l'estime plus qu'à 84,25 mb/j !
C'est d'ailleurs sur les deux premiers trimestres 2007 que la baisse progressive des prévisions au fur et à mesure du temps est le plus visible.
Prenons le premier trimestre 2007. Voici les estimation de production faite par le STEO à différentes dates :
mars 2006 : 86,7 mb/j
juin 2006 : 87,20 mb/j
septembre 2006 : 86,2 mb/j
décembre 2006 : 85,5 mb/j
janvier 2007 : 85,3 mb/j
mars 2007 : 84,6 mb/j
juin 2007 : 84,1 mb/j
juillet 2007 : 84,1 mb/j
août 2007 : 84,1 mb/j
septembre 2007 : 84,01 mb/j
octobre 2007 : 84,25 mb/j
Que voit-on? Une baisse constante des prévisions, sauf entre mars et juin 2006, jusqu'à juin 2007, c'est-à-dire trois mois après la fin du trimestre concerné. Ensuite, les estimations se stabilisent voir remontent.
Cela signifie que les estimations du STEO peuvent être considérés comme correctes à partir de trimestre qui précéde celui qui est en cours.
Vérifions sur les 11 courbes du STEO en comparant le trimestre de publication et le trimestre à partir duquel les estimations sont surévaluées par rapport au STEO d'octobre 2007 :
STEO de janvier 2005 : publication : 2005Q1 et surévaluation : 2005 Q4
STEO de décembre 2005 :publication : 2005Q4 et surévaluation : 2006Q1
STEO de mars 2006 : publication 2006Q1 et surévaluation : 2006Q2
STEO de juin 2006 : publication 2006Q2 et surévaluation : 2006Q3
STEO de juillet 2006 : publication 2006Q2 et surévaluation : 2006Q3
STEO de septembre 2006 : publication 2006Q3 et surévaluation : 2006Q4
STEO de décembre 2006 : publication 2006Q4 et surévaluation : 2006Q4
STEO de mars 2007 : publication 2007Q1 et surévaluation : 2007Q1
STEO de juin 2007 : publication 2007Q2 et surévaluation : 2007Q3
STEO de juillet 2007 : publication 2007Q3 et surévaluation : 2007Q3
STEO de août 2007 : publication 2007Q3 et surévaluation : 2007Q3
STEO de septembre 2007 : publication 2007Q3 et surévaluation : 2007Q4??
Cette liste est très instructive. En effet, mis à part le STEO de janvier 2005, qui commence à faire des surévaluations trois trimestres dans le futur. Les dix STEO suivants établissent systématiquement des projections surévaluations dès le trimestre courant (et j'ai eu le tact deprendre le dernier mois du trimestre!) (STEOs de décembre 2006, mars 2007, juillet 2007, août 2007) ou le trimestre suivant pour tous les autres.
Aussi, la conclusion est que les STEO sont justes pour tout ce qui s'est déjà passé depuis plus trois mois! Le problème est le "Short Term Energy Outook" sert comme son nom l'indique principalement à établir des projections à court terme!
Qu'est ce que dit Jean Laherrère sur les estimations officielles dans l'entretien que nous avons eu à Cork :
« Toutes les prévisions officielles, ce sont des souhaits. Ça n’a rien à voir avec la réalité. Par exemple, les taux de croissance, le « business as usual», on dit : « une croissance va continuer comme dans le passé, c’est-à-dire de l’ordre de 3 à 4%, mais une croissance continue est une croissance qui va à l’infini qui n’est pas possible dans une planète finie. Donc, on ne peut pas continuer comme ça. Par exemple, si on regarde les prévisions des Nations Unis sur la population, là aussi c’est des souhaits. On dit que tous les taux de fécondités vont se stabiliser vers 2,1. Les pays comme l’Italie qui sont à 1,2 vont remonter à 2,1. Ce sont de souhaits. Avec leurs prévisions, les pays les moins développés vont devenir moins féconds que les pays les plus développés. C’est une aberration. Ce sont les prévisions officielles. Il faut se méfier. Toute prévision officielle est un souhait. C’est un voeu politique. Ça n’a rien à voir avec les réalités. »
Les "experts" du STEO de l'USEIA espèrent et souhaitent que la production mondiale croisse pour que le "business as usual" puisse se poursuivre. Donc, ils font en sorte que le futur ressemble à ce qu'ils souhaitent...
Et le futur proche?
Si l'on revient aux préoccupations présentes, c'est-à-dire que va-t-il se passer dans les mois qui viennent? Le STEO d'octobre prévoit évidemment que la production mondiale va croitre dès ce trimestre comme dans chaque STEO.
On a donc toutes les raisons de douter de ces prévisions. Mais, aujourd'hui, le problème est que la demande continue à progresser et que, même si la production mondiale suit la courbe du STEO de ce mois ci, il va y avoir un écart assez important entre production et consommation conduisant à une chute des stocks au sein de l'OCDE et à des pénuries dans les pays plus pauvres. Mais si cette prévision est largement surévaluée alors cela signifie que les stocks vont baisser beaucoup plus vite.... Et donc cela implique que la situation est peut-être plus grave que ce qu'on peut penser.
Le chiffre que j'ai donné dans l'article "USEIA "Short Term Energy Outlook" Novembre 2007" sur la production mondiale d'octobre, 85,77 mb/j, en l'annonçant comme un nouveau record mondial battant celui de juillet 2006 est donc à prendre avec précaution car il a toutes les chances d'être revu à la baisse dans les mois qui viennent.
Le STEO estime le niveau des stocks commerciaux de l'OCDE à 2638 millions de barils fin septembre et prévoit que ceux-ci vont baisser à 2492 millions de barils à fin mars 2008 puis remonter et se stabiliser entre 2550 et 2600 millions de barils jusqu'à la fin 2008.
Mais si ces estimations sont largement surestimées, on peut en conclure que les stocks vont descendre beaucoup plus. Mais jusqu'à combien à fin mars? 2400, 2300? Pour l'instant, avant d'entreprendre des estimations plus poussées, je place la fenêtre entre 2300 et 2450 millions de barils. Depuis 1993, selon le STEO, il n'y a que deux mois où le niveau des stocks commerciaux de l'OCDE est passée en dessous de 2400 millions de barils. Le premier est en mars 1996 à 2371 millions de barils et le second en février 2002 à 2354 millions de barils. La période de février-mars est la période de plus bas niveau des stocks de l'année à cause du passage de l'hiver. On peut en conclure que le niveau de 2350 millions de barils apparait comme un niveau limite en dessous duquel nous ne sommes pas descendus depuis presque 15 ans. Le MOL (Minimum Operating Level) des stocks est le niveau en dessous duquel commence à apparaître des pénuries dans le système d'approvisionnement. Le MOL des stocks commerciaux de l'OCDE se trouve quelque part en dessous de 2350 millions de barils.
Il est donc possible que les stocks égalisent ou passent en dessous des niveaux de 1996 et de 2002 en février-mars 2008. Nous entrerons alors dans des eaux dangereuses de la pénurie.
Conclusion
On observe une certaine agitation des marchés pétroliers à New York et Londres depuis deux mois mais ces observations permettent de mieux en comprendre la raison. Les risques de pénuries sont réelles au sein de l'OCDE à partir d'un horizon de 5 à 6 mois. De même, des responsables de l'AIE, de Total et de BP commencent à donner de la voix sur les limites de la production et la satisfaction de la demande. Un autre article va suivre sur les dernières déclarations de ces responsables. Pourquoi maintenant? Parceque le baril est proche des 100$. Pourquoi est-il proche des 100$? Parceque des risques de pénuries existent réellement. Ils sont au pied du mur et sont obligés de tirer des sonnettes d'alarmes qu'ils n'ont pas envie de tirer et qu'ils tirent en dernier recours.
Ces annonces très récentes vont préparer le terrain à des annonces pour la mise en place de mesures restrictives de la consommation, sûrement d'une pression de plus en plus accrue de l'AIE envers l'OPEP pour qu'ils accroissent leur production, et peut-être de propositions de conférence EIA-OPEP-Russie-Chine-Inde pour établir des mesures conjointes sur la production et surtout de limitations de la consommation.
En fait, l'AIE va sûrement tenter de convaincre la Chine et l'Inde d'appliquer aussi des mesures de limitations de la consommation en même temps que l'OCDE appliquera les mesures d'urgence déjà pré-établies au sein de l'AIE. Tout ceci devrait progressivement avancer au cours de l'hiver et les mesures concrètes être mises en place durant le printemps 2008 peut-être de manière progressive, une par une pour éviter des problèmes de mises en place et de l'agitation sociale.
Les prix devraient donc continuer à grimper au fur et à mesure que les stocks vont se vider...Un baril à 200$ fin mars 2008 n'est pas impossible dans ce contexte...
Emmanuel Broto.
Ce rapport est censé donner des prévisions de production, de consommation et sur les stocks mondiaux sur un horizon de deux ans. Actuellement, les prévisions courent jusqu'à fin 2008. En janvier 2008, les prévisions sur la période 2008-2009 vont commencer.
Comme son nom l'indique, ce rapport permet de faire le point sur le marché pétrolier sur le court terme et devrait en toute logique tenter de donner les meilleurs prévisions possibles.
Dans le graphique ci-dessous, nous pouvons apprécier la qualité de leurs prévisions. En fait, elle est très médiocre et va systématiquement dans le même sens. Elles sont systématiquement surévalués dès le trimestre qui suit la date du rapport. Par contre, les estimations sur le passé sont souvent ré-évalués à la hausse par la suite. Tout ceci concourt à une seule chose : les courbes du STEO montrent une croissance de la production. Comme le dit Jean Laherrère dans l'entretien que j'ai eu avec lui, les projections des agences officielles n'ont rien de sérieux. Elles correspondent juste aux souhaits de leur auteurs.
Le graphique qui suit ne peut mieux illustrer ces propos.

Petite explication du graphique : la courbe en noir est la courbe issu du dernier STEO d'octobre tirée du tableau dynamique 3a . Sur ce tableau, vous pouvez choisir la période ainsi que les tranches (mensuelles, trimestrielles ou annuelles). J'ai choisi la période 2004-2008 et des tranches trimestrielles car les publications anciennes des STEO ne sont consultables qu'en pdf et ne donnent que des tableaux trimestrielles sur une période de trois ans qui s'étend de l'année précédent courante juqu'à l'année suivante.
Il est à noter que l'édition pdf du tableau 3a du rapport STEO d'octobre ne donnent pas les mêmes chiffres de production mondiale que l'édition html du tableau dynamique 3a! Même au sein du STEO, on ne trouve pas les mêmes chiffres du même tableau de la même date sur deux formes différentes!
Aussi, j'ai corrigé mon fichier excel avec les données pdf du rapport STEO d'octobre pour ajuster par rapport aux autres plus anciennes.
Eusuite, j'ai rajouté les données publiées de rapport anciens dans le fichier excel. J'ai pris les 4 derniers rapports précédents depuis juin 2007 :juin 2007, juillet 2007, août 2007, septembre 2007 pour voir l'évolution mois par mois. Ensuite, je suis remonté à mars 2007 puis de trois mois en trois mois. Pourquoi, le mois de mars 2007 correspond à la fin du premier trimestre 2007. J'ai donc choisi des fins de trimestre car ils sont à la charnière et sont donc plus intéressants. Je suis remonté de cette manière jusqu'en décembre 2005 puis j'ai rajouté janvier 2005 pour avoir encore une dernière vue plus ancienne.
Cela donne 12 courbes de STEO sur ce graphique.
Le résultat est assez impressionnant. je vous invite à le regarder attentivement et notamment à situer le début de chaque période de prévision pour chaque courbe et à comparer la partie prévision de la courbe avec la courbe en noir.
Exemple : prenons la courbe du STEO de septembre 2006. Repèrez la bien. Septembre 2006 se situe dans le trimestre 2006Q3. Avant 2006Q3, c'est du passé, après c'est l'avenir. Très bien, maintenant regardez la courbe passé du STEO de septembre 2006. Cette courbe est assez proche de la courbe noir d'octobre 2007. Cette partie a donc été très peu modifié depuis septembre 2006. Maintenant regardez la partie prévision : la courbe croit fortement dès le quatrième trimestre 2006, c'est à dire le trimestre suivant la date de publication de ce rapport. Et que fait la courbe en noir? Elle décline dès le quatrième trimestre 2006. Ainsi, l'écart entre les prévisions du STEO de septembre 2006 et celui d'octobre 2007 sur la production mondiale du quatrième trimestre 2006 est exactement de 0,95 mb/j. En effet, le STEO prévoit 85,60 mb/j tandis que celui d'octobre 2007 ne donne plus que 84,65 mb/j !
Et l'écart de prévision grandit quand on s'éloigne dans le futur.
Gardons la courbe de septembre 2006 et prenons les prévisions sur le trimestre 2007Q3, celui qui vient juste de s'écouler.
Le STEO de septembre 2006 prévoit que la production mondiale sera de 87,1 mb/j au cours de ce trimestre alors que celui d'octobre 2007 fait une estimation de 84,53 mb/j. La différence atteint ici 2,57 mb/j. Exprimée en pourcentage, la projection de septembre 2006 est surestimée de 3% par rapport à l'estimation d'octobre 2007.
Ainsi, sur cette courbe, il est clair que la partie projection est largement surévaluée par rapport à ce qu'il va se passer. Est-ce exceptionnel?
Regardons d'autres courbes.
Prenons celle de janvier 2005. Leurs projections sur les deux premiers trimestres de 2005 sont sous-évaluées mais leur estimation du troisième est égale à celle d'octobre 2007 puis ensuite elles sont largement surévaluées puisque pour le dernier trimestre de la période étudiée de ce rapport, le quatrième trimestre 2006, 2006Q4, leur projection sont de 97,30 mb/j alors que le rapport d'octobre 2007 donne 84,65 mb/j. L'écart est donc de 2,65 mb/j entre ces deux rapports sur le trimestre 2006Q4.
Le plus important écart de prévision atteint 2,95 mb/j sur le même trimestre.
C'est sur le rapport de juin 2006 en bleu clair que l'on trouve cet écart avec celui d'octobre 2007 et c'est sur le premier trimestre 2007. Ainsi, le STEO de juin 2006 prévoit une production de 87,2 mb/j alors que celui d'octobre 2007 ne l'estime plus qu'à 84,25 mb/j !
C'est d'ailleurs sur les deux premiers trimestres 2007 que la baisse progressive des prévisions au fur et à mesure du temps est le plus visible.
Prenons le premier trimestre 2007. Voici les estimation de production faite par le STEO à différentes dates :
mars 2006 : 86,7 mb/j
juin 2006 : 87,20 mb/j
septembre 2006 : 86,2 mb/j
décembre 2006 : 85,5 mb/j
janvier 2007 : 85,3 mb/j
mars 2007 : 84,6 mb/j
juin 2007 : 84,1 mb/j
juillet 2007 : 84,1 mb/j
août 2007 : 84,1 mb/j
septembre 2007 : 84,01 mb/j
octobre 2007 : 84,25 mb/j
Que voit-on? Une baisse constante des prévisions, sauf entre mars et juin 2006, jusqu'à juin 2007, c'est-à-dire trois mois après la fin du trimestre concerné. Ensuite, les estimations se stabilisent voir remontent.
Cela signifie que les estimations du STEO peuvent être considérés comme correctes à partir de trimestre qui précéde celui qui est en cours.
Vérifions sur les 11 courbes du STEO en comparant le trimestre de publication et le trimestre à partir duquel les estimations sont surévaluées par rapport au STEO d'octobre 2007 :
STEO de janvier 2005 : publication : 2005Q1 et surévaluation : 2005 Q4
STEO de décembre 2005 :publication : 2005Q4 et surévaluation : 2006Q1
STEO de mars 2006 : publication 2006Q1 et surévaluation : 2006Q2
STEO de juin 2006 : publication 2006Q2 et surévaluation : 2006Q3
STEO de juillet 2006 : publication 2006Q2 et surévaluation : 2006Q3
STEO de septembre 2006 : publication 2006Q3 et surévaluation : 2006Q4
STEO de décembre 2006 : publication 2006Q4 et surévaluation : 2006Q4
STEO de mars 2007 : publication 2007Q1 et surévaluation : 2007Q1
STEO de juin 2007 : publication 2007Q2 et surévaluation : 2007Q3
STEO de juillet 2007 : publication 2007Q3 et surévaluation : 2007Q3
STEO de août 2007 : publication 2007Q3 et surévaluation : 2007Q3
STEO de septembre 2007 : publication 2007Q3 et surévaluation : 2007Q4??
Cette liste est très instructive. En effet, mis à part le STEO de janvier 2005, qui commence à faire des surévaluations trois trimestres dans le futur. Les dix STEO suivants établissent systématiquement des projections surévaluations dès le trimestre courant (et j'ai eu le tact deprendre le dernier mois du trimestre!) (STEOs de décembre 2006, mars 2007, juillet 2007, août 2007) ou le trimestre suivant pour tous les autres.
Aussi, la conclusion est que les STEO sont justes pour tout ce qui s'est déjà passé depuis plus trois mois! Le problème est le "Short Term Energy Outook" sert comme son nom l'indique principalement à établir des projections à court terme!
Qu'est ce que dit Jean Laherrère sur les estimations officielles dans l'entretien que nous avons eu à Cork :
« Toutes les prévisions officielles, ce sont des souhaits. Ça n’a rien à voir avec la réalité. Par exemple, les taux de croissance, le « business as usual», on dit : « une croissance va continuer comme dans le passé, c’est-à-dire de l’ordre de 3 à 4%, mais une croissance continue est une croissance qui va à l’infini qui n’est pas possible dans une planète finie. Donc, on ne peut pas continuer comme ça. Par exemple, si on regarde les prévisions des Nations Unis sur la population, là aussi c’est des souhaits. On dit que tous les taux de fécondités vont se stabiliser vers 2,1. Les pays comme l’Italie qui sont à 1,2 vont remonter à 2,1. Ce sont de souhaits. Avec leurs prévisions, les pays les moins développés vont devenir moins féconds que les pays les plus développés. C’est une aberration. Ce sont les prévisions officielles. Il faut se méfier. Toute prévision officielle est un souhait. C’est un voeu politique. Ça n’a rien à voir avec les réalités. »
Les "experts" du STEO de l'USEIA espèrent et souhaitent que la production mondiale croisse pour que le "business as usual" puisse se poursuivre. Donc, ils font en sorte que le futur ressemble à ce qu'ils souhaitent...
Et le futur proche?
Si l'on revient aux préoccupations présentes, c'est-à-dire que va-t-il se passer dans les mois qui viennent? Le STEO d'octobre prévoit évidemment que la production mondiale va croitre dès ce trimestre comme dans chaque STEO.
On a donc toutes les raisons de douter de ces prévisions. Mais, aujourd'hui, le problème est que la demande continue à progresser et que, même si la production mondiale suit la courbe du STEO de ce mois ci, il va y avoir un écart assez important entre production et consommation conduisant à une chute des stocks au sein de l'OCDE et à des pénuries dans les pays plus pauvres. Mais si cette prévision est largement surévaluée alors cela signifie que les stocks vont baisser beaucoup plus vite.... Et donc cela implique que la situation est peut-être plus grave que ce qu'on peut penser.
Le chiffre que j'ai donné dans l'article "USEIA "Short Term Energy Outlook" Novembre 2007" sur la production mondiale d'octobre, 85,77 mb/j, en l'annonçant comme un nouveau record mondial battant celui de juillet 2006 est donc à prendre avec précaution car il a toutes les chances d'être revu à la baisse dans les mois qui viennent.
Le STEO estime le niveau des stocks commerciaux de l'OCDE à 2638 millions de barils fin septembre et prévoit que ceux-ci vont baisser à 2492 millions de barils à fin mars 2008 puis remonter et se stabiliser entre 2550 et 2600 millions de barils jusqu'à la fin 2008.
Mais si ces estimations sont largement surestimées, on peut en conclure que les stocks vont descendre beaucoup plus. Mais jusqu'à combien à fin mars? 2400, 2300? Pour l'instant, avant d'entreprendre des estimations plus poussées, je place la fenêtre entre 2300 et 2450 millions de barils. Depuis 1993, selon le STEO, il n'y a que deux mois où le niveau des stocks commerciaux de l'OCDE est passée en dessous de 2400 millions de barils. Le premier est en mars 1996 à 2371 millions de barils et le second en février 2002 à 2354 millions de barils. La période de février-mars est la période de plus bas niveau des stocks de l'année à cause du passage de l'hiver. On peut en conclure que le niveau de 2350 millions de barils apparait comme un niveau limite en dessous duquel nous ne sommes pas descendus depuis presque 15 ans. Le MOL (Minimum Operating Level) des stocks est le niveau en dessous duquel commence à apparaître des pénuries dans le système d'approvisionnement. Le MOL des stocks commerciaux de l'OCDE se trouve quelque part en dessous de 2350 millions de barils.
Il est donc possible que les stocks égalisent ou passent en dessous des niveaux de 1996 et de 2002 en février-mars 2008. Nous entrerons alors dans des eaux dangereuses de la pénurie.
Conclusion
On observe une certaine agitation des marchés pétroliers à New York et Londres depuis deux mois mais ces observations permettent de mieux en comprendre la raison. Les risques de pénuries sont réelles au sein de l'OCDE à partir d'un horizon de 5 à 6 mois. De même, des responsables de l'AIE, de Total et de BP commencent à donner de la voix sur les limites de la production et la satisfaction de la demande. Un autre article va suivre sur les dernières déclarations de ces responsables. Pourquoi maintenant? Parceque le baril est proche des 100$. Pourquoi est-il proche des 100$? Parceque des risques de pénuries existent réellement. Ils sont au pied du mur et sont obligés de tirer des sonnettes d'alarmes qu'ils n'ont pas envie de tirer et qu'ils tirent en dernier recours.
Ces annonces très récentes vont préparer le terrain à des annonces pour la mise en place de mesures restrictives de la consommation, sûrement d'une pression de plus en plus accrue de l'AIE envers l'OPEP pour qu'ils accroissent leur production, et peut-être de propositions de conférence EIA-OPEP-Russie-Chine-Inde pour établir des mesures conjointes sur la production et surtout de limitations de la consommation.
En fait, l'AIE va sûrement tenter de convaincre la Chine et l'Inde d'appliquer aussi des mesures de limitations de la consommation en même temps que l'OCDE appliquera les mesures d'urgence déjà pré-établies au sein de l'AIE. Tout ceci devrait progressivement avancer au cours de l'hiver et les mesures concrètes être mises en place durant le printemps 2008 peut-être de manière progressive, une par une pour éviter des problèmes de mises en place et de l'agitation sociale.
Les prix devraient donc continuer à grimper au fur et à mesure que les stocks vont se vider...Un baril à 200$ fin mars 2008 n'est pas impossible dans ce contexte...
Emmanuel Broto.