Qui veut conserver le monde tel qu'il est?
Voici un extrait d’un commentaire sur l’article précédent :
« Je trouve que vous y allez un peu fort...ça fait beaucoup refrain LCR PCF en chantant à tue tête l'Internationale sur l'exploitation du prolétariat et tout le blabla qui l'entoure. »
Je réponds donc à ce commentaire par cet article…qui débute un cycle hivernale de formalisation de mes réflexions sur les alternatives…politiques
La phrase ci-dessus correspond à de l'implantation idéologique qui dit cela : les communistes, comprenant PCF, LCR et consorts, (qui ne se ressemblent d'ailleurs pas) sont ringards, désuets et tout discours qui commence à évoquer la lutte des classes, correspondant à l'analyse marxiste de la société, doit être associé à cet ensemble et donc être ringardisé. Cette propagande a formidablement bien marché sur la grande majorité de la population, et d'autant plus que ceux qui sont visés ne l'ont pas vu venir et se sont caricaturés eux-mêmes dans cette posture. La propagande créé la réalité, elle modifie la perception de l'ensemble de la société et finalement s'auto-réalise.
L'association de la pensée de Marx avec ceux qui s'en réclament aujourd'hui (LCR-PCF-LO_etc) fonctionne à merveille et permet au pouvoir de se débarrasser de l'ensemble du corpus idéologique marxiste, ce qui pour eux fait un bon débarras tant l'analyse marxiste leur a donné des soucis pendant un siècle et demi...La population ne peut plus utiliser les outils intellectuels de l'analyse marxiste, pourtant plus que pertinente aujourd'hui, et se trouve complètement dépourvue d’outils de compréhension des rapports de pouvoir en vigueur et donc de sa propre aliénation. Le pouvoir peut alors proposer sa propre version du monde, qui par le fait qu’il n’autorise aucune alternative, s’auto-réalise. Il propose une version du monde, du réel qui ne peut être que celle là puisque qu’il n’y aucune autre réalité visible et aucune autre pensée possible. C’est toute l’arrière cour de la pensée unique que je décrit ici..
La pensée unique, outil de propagande idéologique post-soviétique. La chute des soviétiques permet aux capitalistes de déclarer la mort conceptuelle de l’ensemble idéologique de la pensée marxiste et communiste, de propager l’idée que toute pensée globalisante de la lutte révolutionnaire serait « idéologique », néfaste et finirait de toute manière comme les soviétiques. Ensuite, le déploiement de la propagande idéologique de la pensée unique permet de fermer la porte à toute pensée alternative à celle du pouvoir dominant. Aussi, ils déclarent en fait la mort de toute réflexion et pensée générale des rapports de pouvoir et de la lutte révolutionnaire dans la période historique post-soviétique. Les jeunes générations se retrouvent désoeuvrées, coupées de toute filiation issue de la pensée et de l’action révolutionnaire.
Ils s’enferment alors dans l’activisme, dans la «multitude», dans l’action individuel à son échelle avec ses moyens (on fait ce qu’on peut contre le système) et chacun tente de se trouver des niches et des « coins tranquilles » , des zones d’ombres, où il peut s’exprimer et vivre librement et refuse à priori toute pensée globalisante pouvant être assimilé à de « l’idéologie ». C’est très bien en soi mais ils sont à la merci de la faculté du pouvoir de les récupérer quand il en a besoin pour se régénérer (en cela les artistes sont très exposés) ou pour détruire les derniers recoins de liberté où certains s’étaient réfugiés pensant être invisibles. De plus, pour une partie, ils ne menacent pas concrètement les rapports de pouvoir dans la société, ils essaient juste de s’y soustraire tant bien que mal.
Je ne nie évidemment pas que des mouvements radicaux anarchistes s’attaquent frontalement au pouvoir et sont en lutte concrète. Le mouvement « altermondialiste », mot déjà ternit, a aussi ouvert des possibles et des espaces d’expérimentations. Mais la lutte s’est portée sur des événements emblématiques, rendant difficile de lui donner une portée permanente et pérenne. Ensuite, la sectorisation des luttes, la spécialisation des luttes (chômeurs, sans-papiers, la vivisection, l’écologie, la lutte sociale, etc…) puis le glissement vers des luttes conjoncturelles, suivant l’agenda du pouvoir, a provoqué un épuisement des forces, un affaiblissement générale de la capacité d’action. De plus, le pouvoir a déprimé les forces combattantes en les isolant et en ne lâchant rien pour montrer l’inutilité des luttes. Aussi, les efforts prodigieux déployés par les militants n’aboutissent qu’à de très maigres résultats provoquant une déprime générale et un assèchement des ressources humaines dans les cercles militants. C’est à dire que le pouvoir a fait en sorte que le retour sur investissement que toute personne va calculer implicitement quand elle va s’engager dans une lutte soit toujours défavorable. L’investissement humain devient considérable (en énergie, en temps, en exposition face à la répression policière mais aussi dans sa vie quotidienne comme le milieu du travail, la déconsidération du militant qui ne récupère aucun prestige de son action, l’isolement du militant du reste de la population qui pour partie n’a que faire de son action, le sentiment d’impuissance face à des forces qui nous dépassent, etc..) pour des retours quasi inexistants puisque le pouvoir ne lâche absolument rien face aux luttes. C’est le principe de la démoralisation de l’ennemi, vieux comme le monde mais qui fonctionne à plein régime en ce moment.
Tout ceci a provoqué un repliement sur soi, sur son pré carré de manière progressive… Il va maintenant falloir qu’un nouveau souffle, un nouveau vent d’espoir et de désir traverse les corps et les esprits, les échauffent et leur redonnent la vie, l’amour des autres et la fraternité face à l’ennemi. Pour cela, il va bien falloir que tous se retrouvent sur des bases communes qu’ils partagent…
L’avènement du gouvernement Sarkozy pourrait sonner le glas de toute possibilité d’échapper à l’enfermement dans la réalité que la société capitaliste veut imposer. Aussi, même les cabanes au fin fond des vallées perdues se trouvent menacés de destruction…Ceci signifie donc que nous arrivons peut-être à la fin de cette période de transition post-soviétique et je l’espère sincèrement. La seule possibilité d’échapper à leur logique va être d’entrer en résistance réelle. Les jeunes générations vont devoir réinventer la lutte révolutionnaire selon leurs codes et leur sensibilités et s’adapter aux forces de l’ennemi. La tâche est considérable puisqu’il va falloir remonter la pente de la conscience de notre propre aliénation, qui se déploie maintenant de mille manières, pour trouver les armes idéologiques qui nous permettront d’engager une lutte réelle contre le système et les rapports de pouvoir qu’il instaure.
Mais cette tâche offre une opportunité incroyable aux jeunes générations actuelles car le fait de se trouver dans un vide idéologique permet d’ouvrir le champs des possibles d’une manière qui n’était justement plus possible depuis des dizaines d’années. Parce que la lutte révolutionnaire devait passer forcément pas le Parti…
Le Parti est aujourd’hui pratiquement mort, il respire encore mais son pouls baissera au fur et à mesure que les générations qui l’ont porté partiront…
C’est donc une formidable opportunité, mais aussi une tâche immense. Et le renouvellement de la pensée révolutionnaire va engager l’ensemble du siècle à venir. Ce sera sûrement les nouvelles bases théoriques de la lutte révolutionnaires des décennies à venir comme les penseurs révolutionnaires du 18éme siècle déterminèrent les bases de la lutte révolutionnaire jusqu’à la fin du siècle dernier, presque 150 ans d’Histoire…
La question est qu’il faut que ces bases théoriques se fassent jour et que les générations se retrouvent eux-mêmes dans ce nouveau corpus, qu’ils puissent se l’approprier, le faire leur et que tout le monde y trouve son compte. Je crois et j’espère que la formalisation va se réaliser dans les temps à venir. Je l’espère sincèrement car sinon, les générations, en France, auront vécu dans un monde sans espoir toute leur vie et finiront dans un monde qui ressemblera à l’enfer sur terre. Ils auront vécu dans une opulence jamais connue par les générations précédentes mais aussi ils auront connu les changements de société les plus rapides et les intenses que l’Humanité n’ait jamais connu. En fait, nos générations auront vécu une période historique tout à fait exceptionnelle dans l’Histoire humaine, une sorte d’apogée d’un processus qui remonte à la sortie de la dernière ère glaciaire, il y a 10000 ans, c’est à dire la fin de l’Holocène…
On a donc une grande chance d’assister à une telle période si on peut dire mais nous avons aussi un rôle historique considérable qui va déterminer la tournure des événements pour longtemps. Car nous entrons dans un nouveau cycle historique et donc ce sera nous ou nos enfants qui poseront les bases fondatrices de ce cycle historique.
Pour revenir au corpus idéologique marxiste, soi disant désuet et ringard, celui ci est très puissant et est indispensable pour commencer à comprendre les rapports de pouvoir institués dans la société capitaliste et son enracinement historique. Cependant, il n’est plus suffisant car le déploiement continuel du capitalisme et de ses moyens d’oppression et d’action sur la population nécessite de le renouveler, de l’augmenter. De même, l’analyse historique des expériences révolutionnaires des 150 dernières années doit être intégré. Ensuite, c’est la créativité et l’adaptation qui doivent permettre de réinventer de nouvelles formes de luttes. Dans ce domaine, certaines prémisses ont déjà commencé mais ne se sont pas encore complètement formalisés en tant que telle (par exemple les TAZ de Hakim Bey).
Le premier problème est la répulsion quasi instinctive des jeunes générations face à un corpus globalisant. Mais la généralisation de la pensée critique n’implique pas forcément un affaiblissement des individualités, de la diversité. La diversité d’action peut très bien être une des modalités envisagés par cette pensée critique, rien ne l’empêche. De même, rien n’empêche d’éviter toute centralisation du pouvoir, provoquant la reproduction de schémas autoritaires.
L’univers des possibles est total bien que issu d’une filiation historique qui permet de donner des outils et des matériaux, un peu comme la construction d’un bâtiment.
Il faut aussi que nous comprenions qu’il est illusoire de croire qu’il n’est pas nécessaire de s’accorder sur un corpus commun pour entrer dans une lutte réelle.
De même, les buts de la lutte doivent être redéfinis de manière clair. En cela, mon avis est qu’il ne faut pas chercher le renversement du pouvoir et son remplacement dans la forme actuelle mais le renversement du régime, et son remplacement par une nouvelle forme d’organisation sociale. Cela implique que l’ennemi n’est pas représenté par les tenants du pouvoir mais par le système en lui-même. Les membres du gouvernements ne sont que des rouages de ce système. Leur interchangeabilité est quasi-totale. Il ne sert donc à rien de s’attaquer à eux. Ils ne sont là que pour justifier le système. Or, ce changement de but peut avoir une portée considérable sur les orientations des luttes révolutionnaires. Pour remplacer la forme d’organisation sociale, politique et économique actuelle, il faut détruire le système qui la porte. Il faut alors déterminer ce qu’on veut conserver, ce dont on aura besoin par la suite. Mais le reste doit être détruit pour détruire les fondations de l’organisation sociale actuelle. Quand on y réfléchit un peu, on se rend compte que s’attaquer au système est beaucoup plus facile qu’au pouvoir. Le pouvoir ne se maintient que par sa légitimation par le peuple. Or, le pouvoir se légitime principalement par le fait que sa propagande légitime la nécessité du système économique et sociale qui le porte. Et cette légitimité du système n’est jamais remise en question sauf par quelques énergumènes militants mais très peu. Ce fût à mon sens l’immense erreur du passé, l’erreur fut de vouloir reprendre le pouvoir sur les moyens de production que détient le capital pour se libérer de l’aliénation mais l’aliénation provenait en fait des rapports humains que créaient ces moyens de production. Pour se libérer de l’aliénation, il aurait fallu se débarrasser de ces moyens de production ou, en gros, refuser d’appartenir à la classe du prolétariat, refuser ontologiquement le salariat. Le prolétariat justifie l’existence de la bourgeoisie, qui ne peut exister sans le prolétariat, qu’elle ponctionne continuellement de manière parasitaire. Mais le prolétariat ne s’est pas rendue compte que la lutte pour d’abord se réapproprier les moyens de production confisqués par la bourgeoisie puis ensuite pour mieux répartir les fruits de la plus-value (la sociale-démocratie), provoquait en fait aussi la justification du prolétariat en tant que telle. La justification du prolétariat provoque le fait que l’identité de l’individu se créé en tant que prolétaire. Il est prolétaire et donc il lutte contre les bourgeois dans une dialectique permanente qui justifie l’existence de ces deux entités. Mais l’aliénation du prolétaire vient avant tout du fait qu’il se définit comme telle et qu’il se lève tout les matins pour aller à l’usine en se disant qu’un jour viendra où l’usine appartiendra aux travailleurs eux-mêmes…Jour que l’on attend toujours…Les prolétaires n’avaient certes pas tellement le choix car la confiscation des moyens de production et de subsistance par les bourgeois entraînait l’impossibilité de faire autrement pour les prolétaires que de vendre leur force de travail pour gagner l’argent nécessaire pour nourrir leur familles. Ceci est indéniable. Mais ce que je dis est que l’erreur des prolétaires fut de chercher à s’approprier les outils créé par les bourgeois, notamment les moyens de production industriels. Ces moyens de production sont consubstantiels d’une concentration du capital qui reproduit la concentration de la ressource énergétique en un lieu donné et c’est là que les énergies fossiles entrent dans le jeu. Ce sont l’utilisation des énergies fossiles, permettant de concentrer l’utilisation de l’énergie en un point donné qui a permis l’institution de la production industrielle et notamment l’usine. Aussi, le prolétariat n’avait en fait que le choix de participer à la production industrielle ou de ne pas participer mais participer signifiait de toute manière l’aliénation et la subordination au bourgeois. Aussi, la lutte révolutionnaire aurait du s’orienter vers la destruction des moyens de production, ce qu’on fait les luddites. C’était et c’est toujours le seul moyen d’éliminer les véritables sources de l’aliénation de la population, qui se trouve maintenant mondialement sous le joug du capitalisme industriel. Et j’en revient au système. S’attaquer au système signifie que les révolutionnaires ne veulent plus qu’un seule chose : se passer du système de production industriel pour leurs moyens de survie, tout faire pour ne pas devenir prolétaire ou salarié, ni bourgeois par la tentative d’acquisition de moyens de production. L’enjeu de cette autonomie permet ensuite de pouvoir s’attaquer au système de production et de consommation industriel. Mais celui-ci se trouve partout et nécessite des moyens d’alimentation très vulnérable…le but n’est alors plus de manifester pour demander de meilleurs droits, de meilleurs salaires, des nouvelles lois ou quoi que ce soit, le but est de ne rien demander, de ne rien vouloir, et de ne plus alimenter et justifier le système de production industriel qui créé l’aliénation. Du coup, le champ des possibles s’ouvre. Tout devient possible. La créativité devient totale pour vivre. Le temps de la soustraction aux forces d’aliénation précède le temps de l’organisation collective des forces révolutionnaires qui une fois suffisamment organisé peuvent entrer en conflit ouvert avec le système industriel. Or, celui-ci est très fragile par le fait qu’il nécessite de l’énergie concentré et des voix de transports centralisés.
Je vois d’ici les remarques sur le fait que je veux retourner à l’age de pierre. Ce genre de simplification et caricature est inutile parce que ce n’est pas ce que je viens de dire. On peut très bien vivre dignement et avec des moyens d’existence convenables sans le système de production industriel. Evidemment, pour le démontrer, il va falloir développer plus tard. Celui-ci n’est aucunement nécessaire si les individus sont organisés pour s’en passer, même sur la question de la santé. Nous en avons besoin et nous croyons en avoir besoin parce que nous vivons dans un système d’organisation sociale qui tend continuellement au renforcement de notre dépendance à ce système de production.
Actuellement, les pouvoirs politiques en occident sont en train de se centraliser et la centralisation politique est en train de devenir le relais du véritable pouvoir : le pouvoir industriel et ses avatar le pouvoir financier et médiatique.
Pour finir, je cite ci dessous Michael Meacher, député du Labour qui a fait cette déclaration à Cork à la conférence de l’ASPO en septembre. On pourrait dire la même chose de M. Sarkozy.
« Une autre chose très importante que je voudrais évoquer concerne des droits acquis. Je veux dire : qui veut conserver le monde tel qu’il est ? L’industrie pétrolière, l’industrie chimique, l’industrie agro-alimentaire, l’industrie automobile et l’industrie du transport aérien. Ils sont très puissants. Qui dirige la Grande-Bretagne ? Pas le parlement. Je vais vous dire qui dirige la Grande-Bretagne. C’est le Premier ministre avec une petite cabale autour de lui de conseillers non élus, en dehors des membres de son cabinet, rencontrant régulièrement des responsables économiques, des responsables financiers et je dois le dire avec Mr Murdoch et d’autres responsables des médias et prenant des décisions au-dessus de nos têtes qui nous sont alors imposées. C’est la vraie situation devant laquelle nous nous trouvons. C’est un recul très préoccupant de la démocratie et jusqu’à ce qu’on s’en occupe, et jusqu’à ce qu’on considère cela comme une question centrale pour résoudre tous nos problèmes, incluant l’environnement et le changement climatique, nous n’avanceront pas très loin.»
Michael Meacher
Député du Labour au parlement britannique
Député du Labour au parlement britannique
Makhnovitch